
Trois grandes figures de l’ouest
Dans ces histoires hors du commun, Berger nous fait
redécouvrir trois solides mythes de l’ouest français :
les Morgan, Merlin et l’Ankoù.
Les Océanides : le récit
s’inscrit dans la riche tradition des contes où un terrien,
en descendant au fond des eaux, s’y met hors du temps et en revient
à la fois étranger et messager, incapable d’oublier
le pays, les mœurs et les objectifs des êtres de la mer
qui l’ont accueilli.
Merlin au diable : issu du fond des
siècles, le mage opère un retour heureux dans le pays
de Rennes, où son acclimatation aux conditions modernes de
la vie française est source de puissants contrastes et de terribles
marmelades linguistiques.
Yvon, l’Ankoù et Marinette :
Berger, dans une mise à jour logicielle du personnage de l’Ankoù,
lui redonne non seulement toutes ses fonctions antiques, mais étend
son territoire et ses champs de compétences pour faire de l’Ankoù
un être d’une compassion totale.
Première diffusion le 8 septembre 2012
3,49 € - 4,59 $ca sur 7switch | Poids
moyen | Nouvelles
ISBN : 978-2-923916-40-8
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Un échantillon des Océanides :
Un vagabond raconte à ses hôtes d’un soir :
« C’était dans l’archipel, un jour d’hiver. J’étais
dans ma barque. J’inspectais les roches entre Bannec et Balanec quand
eut lieu le premier contact. J’ai vu des phoques, et ils m’ont parlé.
— On trouve des phoques à Molène ?
m’étonnai-je.
— Mais dans quel monde vis-tu, ô mon neveu ?
s’énerva Tantine.
— …
— Une petite cinquantaine. Vous ne connaissiez pas ?
Des phoques gris ?
— Je ne savais pas.
— Quand vous voyez un phoque, c’est plus la peine de sortir
les lignes ; le poisson aura filé. Ceux-là m’ont
appelé : "Toi !… Toi !… Toi !…
Toi !"…
— !!!?
— Dans le coin, on les appelle des lance-pierres, je ne
sais pas pourquoi ; moi ils m’ont lancé un mot. C’étaient
des femelles. Elles se trémoussaient en me regardant, toutes.
Elles étaient neuf. Neuf femelles. "Toi !… Toi !…"
Cambrées la queue en l’air. Puis elles se sont mises à
l’eau et ont sondé.
— C’étaient des Selkies, dis-je. Elles
vous auront dragué.
— Qu’est-ce que c’est que des Selkies ?
— Ce sont des êtres de la mer, qui se déguisent
en phoques pour sortir de l’eau ; on les trouve aux Shetland.
Sous certaines conditions, on peut se marier avec, mais la liaison
reste fragile. Alors, vous avez répondu ?
— Non… D’abord, moi, c’étaient des vrais phoques.
Et je n’ai pas répondu parce que je ne comprenais rien, j’étais
comme un couillon qui voit une soucoupe atterrir dans son potager.
Somme toute, j’avais l’impression qu’elles s’étaient payé
ma tête, comme une grappe de filles qui gloussent quand passe un gars.
— Quelqu’un veut encore du gâteau ? Vous aviez quel âge, Loeiz ?
— Vingt-huit ans. Célibataire, pauvre, sans avenir notable.
— Et ça se passait quand ? voulus-je savoir…
— En, voyons voir, mille-neuf-cent-quatre.
— …
— Eh oui, ça date.
— Je me doutais bien que je n’aurais pas dû demander. »
Quand le Loeiz était sorti de l’eau, le fameux jour de la
photo où on le voit les fesses à l’air, il ne parlait
pas un mot de français. Cependant, deux ans plus tard seulement,
il causait déjà comme un libraire, avec une aisance
que je ne possédais, moi, dans aucune langue étrangère.
« Ah mais c’est que j’ai un don, voyez-vous. Je baragouine
aussi très bien le britiche !
— On m’a raconté, oui.
— Et un peu le hollandais.
— Comment faites-vous ?
— Tout ça, les langues, la force vive ? Je
l’ai reçu sous l’eau.
— La force vive ?
— Je suis increvable. Et persuasif !
— C’est du charisme, ça… Je savais bien que vous
feriez un excellent notable ! Du reste, savez-vous combien de
fois votre photographie est vue chaque jour, sur Internet ?
— Allons bon ! La photo de mon débarquement ?
Elle est en ligne ?
— Trois-mille clics, m’a-t-on dit. Presque autant que
la vieille mémé sur son âne, à Elounda,
en Crète. Vous êtes mondialement célèbre,
Loeiz ar Louarn, mais personne ne sait tout à fait votre histoire.
Il faut remédier à cela : nous pourrions faire
un site, vous et moi. Vous gagneriez des sous !
— Mais qu’est-ce qu’il raconte, cet asticot ? Je
ne saurais que faire de ces sous… Je suis épuisé,
ça ne me passionne plus, et puis… Je ne suis pas de ce temps.
D’ailleurs je m’en vais demain.
— Bâ…
— Mais faites tous les sites que vous voudrez, mon bon,
je vous donne mon autorisation… Racontez, racontez tout ! Vous
servirez trois causes : la justice, mon honneur, et la survie des Morgan.
— S’il vous plaît, intervint ma tante, ne nous faites
pas languir. On s’égare. Reprenez votre histoire, Loeiz. »
[Retour…]
Présentation par l’auteur :
Un si vieux, si vieux pays
Quand vous regardez une carte en relief du fond de la Manche, vous
voyez la Seine dérouler ses méandres jusque loin dans l’ouest, au
large du Finistère. Là où aujourd’hui s’amoncellent des vases et des
gravats coulait jadis le fleuve, lent et indolent, que bordaient de
mornes steppes presque toujours recouvertes de neige. C’était à la
toute fin de la dernière période glaciaire. Les humains existaient
déjà, et très certainement passaient leurs troupeaux de rennes, de
Grande en Petite Bretagne et inversement, par des bacs.
Une halte célèbre sur le chemin pouvait être,
depuis le territoire qui serait un jour celui des Redones,
le Mont-Dol. Résidu misérable des terribles montagnes
de la chaîne hercynienne qui jadis fut le relief le plus élevé
du système solaire – à tel point que le climat
terrestre en était coupé en deux – cette butte
domine la longue plaine comme un petite taupinière qui fait
l’importante sur son gazon. De là-haut, on voit très
nettement la butte suivante, qui est celle du Mont Saint-Michel, et
aussi le rocher de Tombelaine ; à l’horizon l’on
distingue les autres buttes, beaucoup plus vastes, des futures îles
Anglo-Normandes. La route jusqu’à la Seine est ainsi
semée de haltes élevées, sur les flancs desquelles
s’accrochent des bourgs minuscules, tandis que les sommets sont
dévolus au culte d’une divinité. Puis l’on
arrive à la Seine, à son bac, et au passage sur la rive
nord au milieu des cris, des crottes de rennes, de la forêt
de leurs bois. Partout des auberges, évidemment, où
l’on vend des alcools instables qui sentent très fortement
le miel.
Merlin
C’était au tournant du millénaire, et c’était
en été ; il faisait une chaleur démoniaque. Ma
cousine et son mari, qui étaient venus se réfugier en
Bretagne – terre notoirement humide – pour échapper
au soleil qui ravageait le sud, avaient dû se rendre à
l’évidence : ici aussi ça tapait dur. Fort heureusement,
toute la côte nord disparaissait sous un épais matelas
de vapeurs sécrétées par la Manche qui transpirait
comme jamais, à tel point qu’on grelottait là-dessous
tandis qu’à vingt kilomètres à l’intérieur
des terres, les forêts brûlaient spontanément.
Nous étions donc allés visiter la côte sous la
brume, et n’en finissions plus de nous étonner qu’en
quelques deux-cent mètres parfois, dans la descente vers une
crique, on pouvait passer du Sahel à la montagne en hiver,
quand tout est ouaté de silence et qu’on ne voit même
plus le bout de ses skis. Nous étions là sous un fameux
parasol.
Pour avoir un aperçu panoramique du phénomène,
j’avais emmené mes cousins jusqu’au Mont-Dol, qui
devait dépasser de la brouillasse. De là-haut effectivement
nous découvrîmes la mer comme nul n’aurait pu l’imaginer :
ce n’était plus qu’un immense champ blanc éclatant,
au milieu duquel pointaient de noirs chicots qui étaient les
buttes plantées au large. Nous pensâmes au Détroit
de Béring, que l’on pouvait traverser au sec lors de
la dernière glaciation. Nous pensâmes à l’Angleterre,
qui donnait ce jour-là l’impression d’être
accessible aux piétons. Je songeais à Chrétien
de Troyes, qui fait voyager ses héros de Grande en Petite Bretagne
sans aucun problème apparemment, comme si la Manche n’existait
pas.
Alors nous avons évoqué les temps anciens, et la figure
de Merlin s’est imposée, comme une lame de tarot. Deux
semaines plus tard, je commençai à écrire son histoire.
Merlin est né du croisement d’innombrables récits
de dieux et de héros, de mages horriblement dangereux, capables
de se métamorphoser, régents de la vie sauvage. Originellement,
il appartient au légendaire gallois ainsi qu’à
celui de Calédonie. Au douzième siècle, Geoffroy
de Monmouth l’insère dans les histoires arthuriennes,
en tant que personnage de plus en plus incontournable des cinquième
et sixième siècles : Merlin y fait son entrée
sous la présidence du britto-romain Vortigern, puis s’active
sous les règnes mouvementés du chef de guerre Ambrosius
Aurelianus et d’Engenius l’Impétueux, roi magnifique
qui donnera à la littérature la figure bien connue d’Uter
Pendragon, le fameux père du roi Arthur.
Le monde catholique s’empare du sujet, et fait du mage une
créature née des Enfers. Cela n’empêche
pas les gens de continuer à se raconter des histoires, tout
particulièrement en Petite Bretagne : Merlin au berceau, Merlin
devineux, La conversion de Merlin, Merlin et Viviane, Merlin à
Rome… Alors je me suis dit : pourquoi pas Merlin touriste ?
Et sans papiers ?!
Les Morgan
Le mage n’est pas la seule créature à avoir traversé
la Manche, ou la Seine, à pied sec ou en radeau, dans les sacs
des colporteurs et dans les cervelles des rhapsodes. Les Selkies aussi,
descendus des Hébrides, ont fait leur apparition à l’extrême
ouest du Finistère, dans l’archipel d’Ouessant,
où l’on tint longtemps leur existence pour assurée.
Là, ils portent le nom de Morgan, et ils sont à l’origine
d’une profusion d’histoires à dormir debout.
Si Merlin est un piéton, pas marin pour deux sous, dont l’origine
remonte au temps des grandes forêts, les Morgan arrivent avec
la remontée des eaux. Car les Morgan vivent aujourd’hui
sous la mer. Dans leur préhistoire, peut-être y trouverions-nous
les grandes figures de l’inondation, du déluge, liées
à la fonte des glaces ; et ils ne seraient alors pas les seuls
– songez à ce qui se passa lorsque la Méditerranée,
débordant par le col du Bosphore, se déversa dans la
riche cuvette de ce qui deviendrait la Mer traître, au bleu
inquiétant, presque indigo ; aujourd’hui encore
dénommée la Mer Noire.
Donc, au fond du temps des Morgan, je vis une tragédie. En
voyage dans leurs îles, je vis ensuite l’invasion nouvelle
qui pouvait les détruire. J’en tirai l’histoire des Océanides,
qui raconte la lente montée d’une confrontation, sur
un fond misérable d’abus politiciens, les puissants arrogants
se fichant absolument de ce qui vit en équilibre.
L’Ankoù
Peu à peu se formait ainsi un recueil, presque sans que j’en
eus conscience tant j’étais occupé à d’autres
choses en même temps. Quand enfin je m’en avisai, il me
fallut bien envisager de terminer l’ouvrage. Qui d’autre,
pour clore le triptyque, sinon le plus gratiné de nos personnages
folkloriques, le passeur des âmes, qui prend en Bretagne des
allures singulièrement épicées ? Croyez bien
que l’Ankoù est bien plus amusant à peindre que
le pâle Charon, ou le bougon Saint-Pierre ; cette beste-ci a
de la gueule, et la raconter fut de tous temps un vrai plaisir.
Cependant, l’Église en avait fait un sale squelette
moralisateur et d’humeur exécrable, alors que ses attributs
antiques le signalaient comme passeur, aidant à la naissance
comme à la mort. Être passeur, c’est être
attaché à un passage, et donc pourquoi pas à
une barque, ou à un bac… Nous retrouvons ici le signe
de la frontière, qu’on franchit dans un sens ou dans
l’autre, comme la Seine jadis.
Je décidai que mon Ankoù, franchissant les siècles,
dégagé de sa gangue catholique et retrouvant sa majesté
de l’ancien temps, ainsi que toutes les compétences qui
l’ont toujours signalé comme acteur universel dans l’imaginaire
humain, mon Ankoù serait gentil au lieu d’être
aussi fumasse qu’un saint-Paul mal réveillé ;
il serait attentionné et curieux des autres, au lieu d’être
hautain comme un ministre et dangereux comme lui.
[Retour…]