Appel à témoins, un roman de Sinclair Dumontais
Sinclair Dumontais nous fait entrer dans le tout nouveau mystère dont il est le découvreur et l’instigateur. Il s’agit cette fois de la situation insolite et inattendue
de son vieil ami Bertrand Vimont. Bertrand et Sinclair sont deux hardis compagnons de cabarets qui se côtoient depuis des années. Un jour, Bertrand s’absente et il laisse une
lettre à Sinclair. Sinclair la lit et est un peu abasourdi par son contenu. Bertrand y apparaît sous un angle distinct, vif, inattendu, romanesque, presque passionnant. C’est
parfaitement incongru et l’un dans l’autre assez peu crédible.
Un peu par hasard, Sinclair découvre que Bertrand a écrit ainsi une lettre à un peu tout son petit monde : son épouse, sa fille, un collègue de travail, son employeur, un autre pilier de cabaret comme lui, son père, sa mère, un de ses anciens enseignants de fac et j’en passe. Ces lettres ont en commun une information capitale. Bertrand annonce à son correspondant ou sa correspondante du moment qu’il s’en va, qu’il disparaît corps et âme, qu’il se tire, pour toujours et irréversiblement.
« Toutes les lettres disent la même chose, qu’il s’en va, mais toutes les lettres se contredisent quant aux motifs de son départ ainsi que sa destination. Aucune d’entre elles ne laisse présager qu’il a l’intention de mettre fin à ses jours… Ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas le cas : personne ne l’a revu depuis. […] Les pages qui suivent reproduisent toutes les lettres que j’ai pu retracer à ce jour. […] Pourquoi les rassembler ici ? Parce que Bertrand est toujours introuvable et parce que ces lettres ne permettent pas de statuer sur ce qu’il est véritablement devenu. » — Appel à témoins…
Première diffusion : 19 avril 2018 ; Poids : moyen Collection : Romans
Prix : 3,49 € - 4,99 $ca
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ISBN : 978-2-92455-040-3
Un extrait
Dans cette lettre, Bertrand dit que je suis un syndicaliste. Ce n’est pas tout à fait cela. Je suis analyste et stratège pour un syndicat d’enseignants. Quant à mes plaidoiries, dont il vante l’efficacité, elles n’ont rien à voir avec mon boulot : Bertrand se rappelle simplement l’aisance avec laquelle je faisais mes exposés à l’époque où nous étions ensemble à la Faculté. Car avant d’être livreur de produits de nettoyage, Bertrand étudiait comme moi en sociologie. C’est là que nous nous sommes rencontrés. L’un de nos professeurs affectionnait les exposés oraux. Bertrand était jaloux de mon aisance, là où il tremblait comme une feuille.
o0o
Cher Sinclair,
Ce matin je suis parti pour ne plus jamais revenir.
Toute une façon de commencer une lettre, n’est-ce pas ? Désolé d’être aussi sec, aussi brutal, mais puisque je t’écris pour te dire que je pars, il faut bien que je te dise que je pars. Je ne vais pas mettre des pages et des pages avant d’y arriver. Tu me connais : je t’ai toujours parlé sans détour. C’est ce que je fais ici.
Tout de suite après t’avoir posté cette lettre, au coin de ma rue, j’aurai pris un taxi, puis un avion, puis un autre avion, tout petit celui-là, puis un train aux horaires improvisés, et ensuite un camion, mais je n’en suis pas certain. Tout ce que je sais, c’est que les deux cents derniers kilomètres se feront à pied ou à dos de quelque chose. C’est ce qu’on m’a dit, mais je ne sais pas trop. Pour cette dernière étape, il faut se débrouiller.
Je n’arriverai là-bas que vendredi ou samedi. Épuisé parce que c’est loin, très loin, difficile d’accès aussi. Il faut traverser des lieux réputés dangereux, peu documentés sur les cartes officielles. De cette région, les satellites ne montrent que les arbres.
Je ne te dis pas c’est où, cette destination. Je ne veux pas que tu me retraces, ni toi ni personne. Je ne veux pas qu’on me retrouve et qu’on vienne me faire la morale. Je pars parce que je veux partir, c’est mon droit, et j’ai fait en sorte que l’on perde ma trace à tout jamais. Je veux qu’on m’oublie, qu’on me fiche la paix. Je veux que Bertrand n’existe plus, comme s’il était mort. C’est ainsi et ce n’est pas négociable.
Je ne pouvais pas partir sans t’écrire un mot, Sinclair. Un copain, ça ne se quitte pas sans dire adieu. Si j’ai décidé de t’écrire au lieu d’attendre jeudi, au café Bilboquet, c’est parce que je te connais trop. T’aurais essayé de me convaincre de rester. Je t’ai toujours aimé, respecté, mais dans ton genre, t’es un emmerdeur, tu sais. Tu passes ta vie à essayer de convaincre les gens. C’est normal, parce que c’est ton métier. Un syndicaliste, c’est un peu comme un curé. Faut que ça convertisse les gens. Par écrit, j’ai l’avantage d’avoir le dernier mot…
Je ne te dis pas où je vais, Sinclair. Tout ce que je peux te dire, c’est que je m’en vais les mains vides, sans un sou parce que je laisse tout à ma femme. À ma femme et à ma fille. Elles en auront besoin. Pas moi.
Je m’en vais à un endroit où les gens travaillent quinze heures par jour pour gagner tout juste de quoi bouffer. Je m’en vais dans un pays où les gens sont comme des esclaves, où ils ne font que travailler, dormir et mourir. C’est d’ailleurs là-bas que je vais mourir. En travaillant, moi aussi, comme les autres. En me tuant à l’ouvrage, à raison de quinze heures par jour. Ça ne me changera pas beaucoup, remarque. Je ne travaille pas quinze heures par jour, mon boulot de livreur n’est pas tuant, mais c’est tout comme, tellement c’est abrutissant. Pas physiquement, je suis toujours assis, mais dans la tête. La route, c’est une ligne qui te rappelle sans cesse que tu dois suivre les autres.
C’est de la folie ? Appelle ça comme tu veux, moi j’appelle ça une délivrance. La vérité, Sinclair, c’est que je pars parce que j’en ai assez de penser. D’ailleurs, quand tu vas recevoir ma lettre, j’aurai déjà arrêté de penser. Vous allez continuer à penser tout seuls. Toi. Ta femme. Tes enfants. Ton patron. Tes collègues. Tes amis. Puis tous les autres, que tu ne connais pas, mais qui courent tout autour de toi sur le trottoir, dans les magasins, dans les restos, dans leurs autos, sous leurs douches. Même sous la douche, vous allez continuer à penser tous ensemble et plus ou moins aux mêmes choses.
Sans moi.