Cosmicomedia, tome 1, un roman d'Allan E. Berger

La véritable histoire de Prométhée. Quel est cet objet qui attend, noyé dans une roche vieille de quarante millions d’années ? Qui l’a déposé là ? Á quel usage est-il destiné ? Est-il un piège, une expérience, une aide ?

Un groupe d’individus venant de tous les coins du monde, mais qu’un secret plusieurs fois millénaire unit malgré eux, se trouvera confronté à ce choix : utiliser l’objet, et sauter dans l’inconnu, ou laisser les dangers s’amonceler. Or, l’instant est pressant : divers phénomènes convergents font que le monde des humains, tel que nous le connaissons, touche à une période de mutations violentes. Cosmicomedia propose, dans ce premier tome, d’assister, en arrière-plan de l’intrigue, à l’activation d’un ensemble de basculements possibles.

Le décor planté dans ce premier tome est celui de notre monde à nous, avec son futur prévisible. Les gens qui s’y démènent ont nos histoires, nos éducations, nos ancêtres et nos terreurs. Ils tournoient dans la nuit, leur avenir est clos, ils n’ont plus aucune espèce de valeur. Soudain, voici que s’ouvre un mystère.


Première diffusion : le 14 septembre 2011 ; Poids : lourd  Collection : Romans
Prix sur 7switch : 4,99 € - 6,49 $ca 
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ISBN : 978-2-923916-32-3


Zarya et l’île de la Cité

Zarya. Le mot est né avec la merveilleuse mission de Yuri Gagarin, qui a dit n’avoir pas vu Dieu là-haut. Ce fut aussi le nom d’une suite de programmes gérés depuis Baikonur et Kaliningrad. On retrouva ce mot peint sur le flanc de Salyut ; on le retrouva encore sur le premier élément de l’ISS lancé en 1988.

Chacune de ces aventures avait bien mérité de recevoir ce nom porteur d’espérance : Zarya, l’aurore. Et quel scientifique n’aurait pas rêvé d’œuvrer sur une mission ainsi baptisée ? Mais Zarya s’était écrasée sur l’île de la Cité.

La première chose que le projectile avait démolie en arrivant au sol, avait été la statue de notre bon roi Henri IV, le roi porteur d’espoir, qui paradait à la pointe occidentale de l’île. Ainsi, la plus gigantesque baffe que se fût jamais prise une œuvre d’art démolissait le mémorial du seul héros, avec le chancelier de l’Hospital, à avoir tenté de ramener la paix dans une France en proie à une de ces saloperies de guerres de religion.

La gloire de son couronnement fut et reste éclipsée par celle, beaucoup plus durable, de la signature de l’édit de Nantes, un document parfaitement anachronique puisqu’il accordait à chacun la liberté de croire à sa convenance, ce qui, au troisième millénaire, n’est toujours pas une évidence.

« Henry par la grâce de Dieu Roy de France et de Navarre. À tous présents et à venir, Salut… » Cette pile de feuillets avait annoncé pour bien des gens, catholiques romains comme huguenots, une ère nouvelle, une ère d’espérance, au cours de laquelle une paix pourrait enfin s’établir. Cela avait été, là aussi, une Zarya, cet espoir qui était monté à l’horizon du royaume.

Et la Zarya qui fondit du ciel, qu’était-elle ? Vingt tonnes en orbite ; vingt-quatre mètres d’envergure, ailes déployées. Une durée de vie estimée à quinze ans, mais elle avait eu huit ans de rab. Les Russes construisent du solide. Et quand ça ne marche plus, ça sert encore !

Par exemple : lorsqu’il avait fallu remplacer le module par une autre Zarya plus fraîche, on avait déménagé l’ancienne à quelques kilomètres, où elle avait servi dès lors de réserve à pièces de rechange, de fourre-tout, de bocal à bricoles ; la seule chose que jamais personne n’aurait jamais pensé à mettre en orbite, n’est-ce pas ? Mais qu’on était bien content d’avoir sous la main.

Comme à chaque fois qu’on avait remplacé un bout de la station, il avait fallu désassembler des éléments, retirer la vieille bête avec délicatesse, insérer la nouvelle venue, et tout recoller ni vu ni connu. Le manche avait changé, la lame aussi, mais c’était toujours ce même bon vieux couteau.

Un jour, Zarya l’ancienne n’avait plus servi à rien ; les allées et venues entre l’ISS et son grenier à ferraille étaient devenues rares, et coûtaient toujours plus cher. On l’avait un peu vidée, ensuite on l’avait désorbitée, et juste à ce moment-là le Soleil avait éternué. On connaît la suite. Henri IV dessoudé.

Que s’était-il passé ? Pourquoi justement ici ?

« Et pourquoi pas, après tout ? Mais enfin, monsieur Lucas, c’est bientôt fini tous ces chichis ? Nous en direz-vous un peu plus sur cette tragique affaire ? Que diable, cessez de faire votre vierge prude, et lancez-vous, zut alors, quoi ! Le public bave, on veut savoir ! Sinon on éteint ce livre !

— Oouh alors là… Du sang et des tripes, hein ? »


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Le carillonneur Victor Renan avait commencé son concert hebdomadaire, qui rassemblait toujours une petite foule au pied de l’église Saint-Germain l’Auxerrois. Organisé presque tous les mercredis, le spectacle avait été, cette fois-ci exceptionnellement, avancé d’une journée pour ne pas interférer avec le défilé du lendemain. De plus, pour des raisons de planning personnel, le musicien avait programmé ce concert à 13h00, au lieu des traditionnelles 14h30.

Aussi, bien des habitués n’ayant pas été avertis de tous ces changements épouvantables, il y avait moins de monde qu’à l’ordinaire pour l’écouter jouer. De plus, la menace du bolide russe avait incité pas mal de gens à rester chez eux.

C’étaient deux morceaux de Bach, adaptés pour la machine par un enfant de la gens Chapuis, un nom qui, comme un phare à éclipses, accouche toutes les trois ou quatre générations d’un organiste de haute volée. C’étaient encore les vieux airs de ce rouleau de bois hérissé de picots qui dirigeait, à l’époque de sa restauration, les chants du carillon : Les cloches de Corneville qui jouaient jadis à huit heures, Si j’étais roi…, la chanson pour midi, le Carnaval de Venise à vingt heures, et un Noël pour minuit. Il fut un temps où c’était Noël tous les minuits.

Il était 13h43. Si j’étais roi… d’Adam venait de démarrer, quand toutes les oreilles se bouchèrent sous une brusque montée de la pression d’air. Puis un abominable tintamarre déboula des abat-sons du beffroi. La terre ondula. Les gens devinrent ivres. Complètement assommés par l’infâme cacophonie du carillon en déroute, ils levèrent les yeux vers le sommet de la tour. Quatre gargouilles plongeaient lentement vers le sol, au milieu d’autres pierrailles.

Dans le dos du public, on entendait des crissements de pneus, et les chocs gras de la tôle et du plastique. Un concert d’alarmes monta des bouches d’aération du parking souterrain. Tous n’eurent qu’une seule pensée terrible : « Zarya !… »

Puis un rugissement, comme un volcan qui s’éveille, monta de la Seine. Tous s’y précipitèrent, trébuchant dans les gravats, bousculant les chaises renversées des cafés au milieu des vitrines pilées ; ils virent le nuage noir qui grondait derrière le Pont-Neuf éventré. La rivière se précipitait en rugissant dans un gouffre, là où s’était trouvé le square du Vert-galant, et où il n’y avait plus rien d’autre que de l’écume, et des bouffées d’une monstrueuse vapeur dans laquelle basculaient les bateaux-mouches qui avaient été amarrés là. Certains, pleins de touristes, étaient sur le point d’appareiller. Les gens se jetaient à l’eau, les sirènes des bateaux cornaient comme des oies désolées. Le port de la Cité tourbillonnait, s’entrechoquait, et disparaissait dans la chaudière.

Les dix tonnes du carillon s’effondrèrent en désordre dans la tour qui vibrait sous l’avalanche. Vingt mètres de dégringolade, et le musicien là-dessous. Du reste, personne n’en avait cure. La pagaille était partout, et la panique. Les premiers appels sonnaient dans les salles de rédaction, dans les casernes, les ministères, à l’Élysée. La foule se précipitait, mélange de rires nerveux et de pleurs. Bien des gens étaient en larmes sans le savoir, hypnotisés par la disparition pure et simple des deux pavillons jumeaux qui gardaient l’entrée de la place Dauphine. À travers les fumées qui roulaient, on voyait les ossements du Palais de Justice se recroqueviller dans d’immenses flammes.

La première image que je vis à la télé fut, derrière le présentateur en studio, ce qui allait devenir l’indicatif visuel de l’événement : au dernier étage de la Tour Eiffel, un touriste Danois avait eu le réflexe de clicher la trace du météore. Au-dessus de la tour Montparnasse, un trait flou rayait le ciel en diagonale. Là où Zarya avait harponné la couche de nuages, une espèce de cône d’aspiration rappelant une tornade s’effilochait jusqu’à la verticale du dôme des Invalides. Ensuite, un simple trait, mal discernable : une traînée de condensation, sans doute. Enfin, sur la gauche de l’image, une corolle noire et grise s’épanouissait au point d’impact.

On discutait du nombre des victimes, qu’il était impossible d’évaluer pour le moment ; alors à quoi bon en parler ? Les cameramen dépêchés sur place avaient été bloqués à la limite d’un périmètre d’exclusion suffisamment étendu pour les rendre totalement frénétiques. Les plus chanceux s’étaient rabattus sur le Pont des Arts, d’où ils filmaient un plan fixe des incendies, qui servait de décor en temps réel aux élucubrations des présentateurs en studio. J’avais le cœur noué ; mon quartier, mon Paris préféré, celui que j’aimais par-dessus tout, avait été mutilé sans remède.

La ligne 4 du métropolitain, Porte de Clignancourt – Porte d’Orléans, avait été stoppée. Les passages sous la Seine s’étaient mis à fuir. Une vue montrait les jets d’eau sous pression qui fusaient dans un tunnel, comme dans ces vieux films de sous-marins où les acteurs se démènent au milieu des tuyaux en furie.

Puis un hélicoptère nous mena dans le ciel au-dessus de l’île ravagée, tout assiégée de gyrophares. Un vent d’ouest poussait la purée noire vers Notre-Dame, et lui faisait comme une écharpe. On parla des bateaux-mouches, qui gisaient quelque part sous la place Dauphine. Des geysers continuaient à exploser à cet endroit, à mesure que la Seine venait s’y vaporiser. Cette image était particulièrement sinistre, quand on pensait à ce qui tournoyait maintenant au fond de ce chaudron. Je décidai que j’en savais assez, baissai le son et entamai la longue corvée des rappels téléphoniques.


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